Le détail du décret d’application de la loi sur la protection des lanceurs d’alerte

10.10.2022

Près d’un mois après l’entrée en vigueur de la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, son décret d’application est publié, permettant ainsi aux acteurs publics et privés en cours de révision de leurs dispositifs d’alerte d’en saisir les contours.

Un renforcement notable de la protection des lanceurs d’alerte

La loi dite Waserman du nom du député à son origine et transposant la directive européenne du 23 octobre 2019, apporte des modifications substantielles au dispositif français de protection des lanceurs d’alerte créé par la loi Sapin II.

Il est rappelé que cette loi modifie la définition du lanceur d’alerte, notamment en introduisant la notion « d’absence de contrepartie directe » en remplacement du critère de désintéressement.

En outre, celle-ci abandonne l’obligation de procéder à une alerte interne préalablement à une alerte externe pour bénéficier de la protection légale. Il appartient ainsi au lanceur d’alerte de choisir entre un signalement interne ou un signalement à l’autorité compétente, au Défenseur des droits ou à une autorité européenne. Il convient cependant de noter que la divulgation publique de l’alerte n’est autorisée que pour des cas limitativement prévus par la loi.

La protection accordée au lanceur d’alerte est également considérablement renforcée. D’une part, l’auteur du signalement est irresponsable civilement des dommages que son alerte aurait causés dès lors qu’il est de bonne foi. D’autre part, il n’est pas responsable pénalement s’il soustrait, détourne ou recèle les documents ou tout autre support contenant les informations dont il a eu connaissance de manière licite et qu’il signale ou divulgue dans les conditions prévues par la loi.

Ces protections sont également étendues aux « facilitateurs », soit toute personne physique ou morale de droit privé à but non lucratif aidant le lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation.

Enfin, en cas de procédure « bâillon » visant à intimider le lanceur d’alerte, une amende civile allant jusqu’à 60 000 euros peut être prononcée.

Des précisions attendues sur les modalités d’application des exigences relatives au droit d’alerte

Le décret d’application apporte d’importantes précisions sur le contenu des procédures d’alertes internes devant être mises en place par les personnes morales de droit public et privé soumises à l’article 8 de la loi Sapin II.

Les critères de calcul du seuil de cinquante salariés ou agents

L’article 8 de la loi Sapin II indique que les personnes morales de droit public ou de droit privé employant cinquante agents ou cinquante salariés ont l’obligation de mettre en place une procédure interne de recueil et de traitement des signalements, après consultation des instances de dialogue social.

A ce titre, le décret précise les modalités de détermination du seuil de cinquante salariés ou agents pour l’établissement d’une procédure d’alerte :

  • pour les personnes morales de droit privé et de droit public employant des personnels dans les conditions du droit privé ;

  • pour les personnes morales de droit public n’employant pas des personnels dans les conditions du droit privé ;

  • pour les personnes morales de droit public employant des personnels dans des conditions de droit privé et de droit public.

Le contenu des procédures internes de recueil et de traitement des signalements

La loi Sapin II, dans sa rédaction initiale, si elle imposait l’obligation pour certaines entreprises de mettre en place un dispositif d’alerte, ne précisait pas le contenu de ces procédures.

Si l’Agence française anticorruption (AFA) donnait quant à elle plus d’indications sur le contenu de ces procédures dans ses recommandations, celles-ci sont dépourvues de force obligatoire et ne créent pas de contrainte juridique pour les entreprises et établissements assujettis.

  • Les modalités de recueil et de traitement des signalements

Le décret laisse les entreprises libres d’instaurer un canal de signalement écrit ou oral.

Lorsque ces canaux sont oraux, la procédure devra préciser que le signalement peut s’effectuer par téléphone ou tout autre système de messagerie vocale, et sur la demande de l’auteur du signalement et selon son choix, lors d’une visioconférence ou d’une rencontre physique organisée au plus tard vingt jours ouvrés après réception de la demande.

Lorsque le signalement est recueilli par téléphone, les entreprises assujetties devront l’enregistrer avec le consentement de son auteur, sur un système de messagerie vocale enregistrée ou sur un support durable et récupérable ou en la transcrivant de manière intégrale.

Lorsque le signalement est recueilli sur une ligne téléphonique non enregistrée ou que l’auteur du signalement ne consent pas à l’enregistrement de la conversation en visio-conférence ou lors d’une rencontre physique, celle-ci devra faire l’objet d’un procès-verbal devant être vérifié, rectifié le cas échéant et approuvé par l’auteur par l’apposition de sa signature.

Dans tous les cas, l’auteur du signalement devra être informé par écrit de la bonne réception de son signalement dans un délai ne dépassant pas sept jours ouvrés à compter de la réception de l’alerte. Dans ce cadre, la procédure doit indiquer que le lanceur d’alerte est informé, le cas échéant, des raisons pour lesquelles son alerte est jugée irrecevable car ne respectant pas les conditions fixées par la loi.

Les entreprises assujetties ont un délai de trois mois pour traiter le signalement. A l’issue de ces trois mois, l’auteur du signalement est informé des mesures prises à la suite de son signalement ou, lorsque l’entité procède à la clôture de l’alerte, les raisons de cette clôture, à savoir des allégations inexactes ou infondées ou une alerte devenue sans objet.

  • Les personnes en charge du traitement des signalements

Les personnes en charge du traitement des signalement doivent être expressément désignées par la procédure. Il est également précisé que les personnes en charge de la réception des alertes et de leur traitement peuvent être différentes. De même que le canal de réception des signalements peut être géré par un tiers, par exemple par un prestataire externe.

La procédure interdit également l’accès aux informations remontées par le lanceur d’alerte à d’autres membres du personnel qui ne sont pas autorisés à en connaître. Lorsqu’ils reçoivent une alerte, les autres membres du personnel doivent la transmettre sans délai aux personnes en charge du traitement des signalements.

Dans tous les cas, les personnes ou services désignés pour le recueil et le traitement des alertes doivent disposer, par leur positionnement ou par leur statut, de la compétence, de l'autorité et des moyens suffisants à l'exercice de leurs missions. Les garanties permettant l’exercice impartial de ces missions devront être décrites dans la procédure.

  • La diffusion de la procédure

La procédure d’alerte doit être diffusée par tout moyen assurant une publicité suffisante qui peut être sous forme de notification, affichage ou publication sur le site internet ou par voie électronique.

Il est également précisé que la procédure doit mettre à disposition des informations facilement accessibles concernant les procédures de signalement externe. Le décret ne précise toutefois pas si ces informations doivent être mentionnées dans le corps de la procédure ou si elles peuvent être diffusées à travers un autre canal.

Le recueil des signalements par les autorités externes

Le décret indique en annexe les autorités auxquelles un signalement externe peut être adressé (Autorité des marchés financiers, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Commission nationale de l'informatique et des libertés, AFA, etc.).

Ces autorités doivent également mettre en place une procédure de signalement selon les mêmes modalités. Cependant, la procédure applicable aux autorités externes connaît quelques spécificités.

En effet, la procédure prévoit que l’auteur du signalement doit préciser s’il a effectué un signalement préalable par voie interne.

Par ailleurs, l’autorité recueillant le signalement doit vérifier qu’il relève bien de sa compétence. Si tel n’est pas le cas, celui-ci doit être transmis à l’autorité compétente ou au Défenseur des droits sans délai, tout en informant l’auteur du signalement.

Dans le cas où des circonstances particulières le justifient, le signalement peut être traité dans un délai de six mois au lieu de trois mois à compter de son accusé de réception. Dans ce cas, l’autorité doit transmettre les raisons de ce traitement prolongé avant l’expiration du délai de trois mois.

En outre, et en cas d'afflux important de signalements, l'autorité compétente peut traiter en priorité les signalements les plus graves, notamment ceux pour lesquels il existe un risque de destruction de preuves ou un risque que l'auteur du signalement fasse l'objet de mesures de représailles.

Il est à noter que les autorités externes publient notamment sur leur site internet des informations sur l’existence de procédures internes de recueil et de traitement des signalements en invitant les auteurs de signalement à s’y référer en priorité lorsqu’ils ne sont pas exposés au risque de représailles.

Enfin, chaque autorité adresse au Défenseur des droits un rapport sur le fonctionnement de sa procédure de recueil et de traitement des signalements avant le 31 décembre de chaque année.

Emmanuel Daoud, avocat associé, Cabinet VIGO

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